Une promenade dans l’espace

Luca dans l'espace

Luca dans l’espace (Crédits : ESA/NASA)

Le sas est sombre et silencieux comme un temple, peut-être un qui est dédié à la technologie. Lorsque j’entre, il a l’effet calmant d’une prière.

Il est encore tôt mais je suis déjà debout depuis environ une heure. Après m’être rasé plus soigneusement que d’habitude (je ne veux avoir aucune coupures sur ma tête ou mon visage), je prends un petit-déjeuner particulièrement copieux – il n’y aura pas de déjeuner aujourd’hui. Puis je me tourne vers Chris, et il doit avoir lu la question sur mon visage, parce qu’il répond avant même que j’aie le temps de parler : « Oui, faisons ça », en d’autres termes, c’est l’heure.

Préparation à sec

Préparation à sec (Crédits : ESA/NASA)

La première étape vers une EVA est une série très longue de procédures, toutes conçues pour assurer notre sécurité. Après avoir enfilé une sous-combinaison (une sorte de sous-vêtement qui nous couvre du cou aux chevilles) et le sous-vêtement LCVG (Liquid Cooling and Ventilation Garment = Le vêtement ventilation et refroidissement liquide), nous respirons pendant environ 40 minutes de l’oxygène pur afin d’extraire l’azote de notre corps. Pendant ce temps-là, l’équipe au sol nous fait passer une série de vérifications sur nos combinaisons EMU (Extravehicular Mobility Unit = Unité Mobile Extra-véhiculaire). Nous effectuons celles-ci méticuleusement ; même si j’ai suivi ces étapes chorégraphiées tellement de fois au sol pendant les simulations, maintenant c’est pour de vrai et je dépendrai bientôt de cette combinaison encombrante pour survivre à l’extérieur de la Station. Dans l’espace. C’est une idée tellement incroyable que mon cerveau n’arrête pas de la ressasser, et à la place je me concentre sur les activités en cours. Le temps passe comme un éclair, et soudainement c’est l’heure d’un dernier encas avant d’enfiler les combinaisons. Pendant environ 9 heures, je ne pourrai rien manger. Tout ce que j’aurai sera une paille en plastique qui me permettra de boire pendant que je serai à l’extérieur.

Enfiler la combinaison spatiale requiert un effort physique considérable, spécialement pour la partie haute. La section du torse est raide et étroit, spécialement pour moi car j’ai choisi une taille plus petite pour être plus agile. Et je serai plus agile mais le prix à payer et d’avoir à contorsionner mes bras et mes épaules pendant que je pousse avec mes pieds aussi fort que je peux, jusqu’à ce que ma tête passe par le collier en métal et que mes mains passent par les bracelets de la combinaison.

Entrer dans les combinaisons

Entrer dans les combinaisons (Crédits : ESA/NASA)

Karen et Chris attachent la partie basse de ma combinaison spatiale (le « pantalon ») puis c’est au tour de Chris d’effectuer un effort similaire pour entrer dans sa combinaison. Aussi soigneusement que possible, Karen verrouille les casques sur les deux combinaisons et les bloques, nous enfermant hermétiquement à l’intérieur. Puis nous passons à la deuxième étape : la procédure de désaturation, période pendant laquelle les combinaisons sont remplies d’oxygène et le sas est amené à une pression de 10.2 psi. Pendant ce temps, Chris et moi revoyons pour la n-ième fois les procédures que nous suivrons, nous concentrant sur chaque aspect de la sortie, chaque mouvement et chaque détail de ce que nous aurons à effectuer. Les vérifications continuent comme prévu et les combinaisons sont en parfait état de marche. Ceci est confirmé par Houston, qui suivent tout par télémétrie, même nos données biomédicales.

Fyodor arrive pour aider Karen à installer notre équipement et nous aider à entrer dans la chambre hermétique. Cette zone, légèrement plus grande que les deux combinaisons que nous portons, doit tenir compte non seulement de nous mais aussi des outils à utiliser pour le travail de maintenance et des instruments qui ont besoin d’être remplacés. Je mets en route la pompe pour dépressuriser l’environnement à 2 psi ; Karen ouvre alors une valve pour ventiler le reste de l’atmosphère. J’ai l’impression d’être conscient de tout ce qui se passe autour de moi et je me sens comme si je regardais tout au ralenti. Soudain, je réalise que le vacarme de métal cacophonique venant de nos outils flottants a disparu. Le son ne se propage plus et avant même que Chris ne me le dise, je sais que la dépressurisation est terminée : nous sommes dans l’espace.

Luca sortant

Luca sortant (Crédits : NASA)

Avec son calme caractéristique, Chris ouvre la trappe et j’ai ma première vue de la terre glissant sous mes yeux. Mon viseur est la seule chose qui à la fois me sépare et me protège de la lumière éclatante. Le bleu cristal est hypnotique, mais il n’y a pas de temps pour s’arrêter. Chris est prêt à sortir et il est à l’extérieur en quelques secondes. Maintenant c’est mon tour. Avec un sang-froid méthodique et répété, j’effectue chaque mouvement comme un danseur suit sa chorégraphie, mais je ne cherche pas les applaudissements finaux – je veux juste être sûr que je ne fais aucunes erreurs. Lorsque Chris me dit « OK, tu es sorti ! », je sais qu’il a un sourire sur ses lèvres, même si je ne peux pas le voir car nous avons abaissé tous les deux nos viseurs dorés. C’est le jour, et la lumière est si pure et lumineuse qu’elle fait mal.

Soudain, Chris est parti et je ferme le couvercle isolant qui protège l’intérieur du sas. Houston me dit que je peux prendre tout le temps que je veux pour m’adapter, mais j’ai d’autres plans : j’ai déjà décidé que je m’adapterais pendant que je me déplacerais vers ma destination : ELC2. Et aussitôt que je commence à bouger, je réalise que je n’aurai aucun problèmes : je me sens bien, relaxé – dans mon élément dans un environnement qui devrait me paraître totalement étranger. Au lieu de cela, il me parait presque familier. Des centaines d’heures sous l’eau ont eu l’effet désiré. Pendant que je me déplace, je vois l’Amérique du Nord passer sous moi, teintée de la lumière du soleil couchant. Je me sens si bien que je ne peux m’arrêter de sourire. Mais mon sourire ne dure pas longtemps. Lorsque j’arrive à mon emplacement prévu pour ancrer le premier des deux câbles auto-enroulables qui me fixent à la Station, mes yeux commencent à me brûler comme si je les avais frotté avec du savon et ils deviennent très larmoyant. D’abord, je ne comprends pas ce qu’il se passe : les larmes se déversent de mes yeux et ça pique tellement que je ne peux pas les garder ouverts. Je décide de me stabiliser un moment pour réfléchir. Je secoue ma tête d’un coté à l’autre – en orbite les larmes ne roulent pas sur les joues, elles s’accumulent sur vos yeux. Je comprends alors ce qu’il se passe : pendant notre préparation, nous avons nettoyé la partie intérieure du viseur avec un produit anti-buée. A cause de la basse pression, le produit s’est évaporé et a dû aller dans mes yeux. Je sais que l’effet durera une paire d’heures et qu’il n’y a rien que je puisse faire. Je me résigne à la sensation de brûlure et je dois secouer ma tête à maintes reprises pour faire cesser les larmes.

Récupération de MISSE8 (Crédits : ESA/NASA)

Récupération de MISSE8 (Crédits : ESA/NASA)

En suivant la route que j’ai étudiée tant de fois, je me retrouve à ELC2, la plateforme pour les expériences et l’équipement installée sur le treillis à droite : une énorme structure située sur le coté faisant face à l’espace noir. C’est déjà sombre et comme je grimpe je suis conscient qu’à cet instant précis, je suis l’homme le plus éloigné de la surface de la Terre, spécialement lorsque je me me trouve « à l’envers » pour prendre les photos des deux expériences que je suis venu collecter : ORMATE et PEC – deux plates-formes de matériaux exposés au vide.

Pour les retirer je dois utiliser mes gants pressurisés avec la plus grande dextérité. Chaque fois que je plie mes doigts c’est comme presser une balle de tennis, et je fais très attention à ne pas fatiguer mes mains. En ouvrant un oeil à la fois – ils sont encore très humides – je réussi à démonter les deux plates-formes et à les placer sur ma combinaison pour les rapporter à l’intérieur. Shane, notre contact radio au sol, nous dit que nous avons 20 minutes d’avance sur le planning et cela me donne beaucoup de confiance tout en accrochant les deux expériences à l’intérieur du sas et en prenant les outils dont j’ai besoin pour la prochaine tâche, qui est l’installation de l’APFR (Adjustable Portable Foot Restraint = cale-pieds portable réglable) sur le Canadarm2. Installer l’APFR et entrer mes pieds dedans se passe sans encombre mais quand même, avant que je donne à Karen le GO – elle est aux commandes du bras robotique – pour s’éloigner de la structure, je demande à Chris de me confirmer que mes pieds sont fixés correctement à la plateforme, ils constituent la seule chose qui me gardera attaché au Canadarm2.

Luca sur le Canadarm (Crédits : NASA)

Luca sur le Canadarm2 (Crédits : NASA)

Pendant que le bras se déplace vers le premier de nombreux repositionnements, un spectacle d’une beauté incomparable se déroule devant mes yeux : l’aube dans l’espace. Les couleurs absorbent le noir, le blanc et le gris à une vitesse incroyable dans une explosion chromatique. Nous sommes entrain de voler au dessus de l’Afrique du Nord et le rouge, le jaune, le pourpre et l’ocre remplissent mes yeux avec émerveillement.

Pendant l’heure et demie qui suit, je suis transporté d’un coté à l’autre de la Station par le bras robotique, à la fois en mode automatique et manuel, toujours avec Karen aux commandes. La tâche consiste à prendre deux énormes RGB (Radiator Grapple Bar = Barre de Grappin de Radiateur) de leur emplacement temporaire pour les installer à leur emplacement permanent. Entre les étapes, je désinstalle une caméra défectueuse pour la ramener à l’intérieur à la fin de l’EVA.

Dans ce qui semble être un instant, il est temps pour moi de me libérer du bras et de le ramener à son état initial (en retirant l’APFR). Puis je me déplace vers la « pointe » de l’ISS, le PMA2 – l’ancien point d’amarrage de la navette, qui a besoin d’être protégé par une couverture thermique. Selon nos plans, cette tâche requiert deux astronautes à cause des difficultés rencontrées au sol pour gérer la couverture. Mais Chris a rencontré un problème : pendant l’installation d’un câble électrique, il doit rassembler toutes ses forces pour relier les extrémités de la structure de la Station. Le câble a été enroulé pendant 10 ans et il est maintenant réticent à se redresser, donc Chris me dit qu’il aura besoin de plus de temps. Je devrai m’occuper de la couverture tout seul. Galvanisé par le défi qui m’attend, j’oublie presque où je suis : juste à la proue du navire, et avec toute l’ISS devant moi ! Lorsque le soleil se lève de nouveau je me sens presque bouleversé par ce que je vois.

Luca autoportrait (Crédits : ESA/NASA)

Luca autoportrait (Crédits : ESA/NASA)

Mais il n’y a pas un moment à perdre car le travail requiert toute mon attention lorsque je bouge d’un coté du PMA2, me détachant d’un endroit puis m’attachant immédiatement à un autre. Mes mains se fatiguent, car je dois continuer à déplacer la couverture pour la sécuriser à la structure. Je n’ai aucune idée de combien de temps cela va me prendre, mais lorsque je termine, nous sommes toujours en avance sur le planning. Je prends une gorgée d’eau puis je récupère deux des containers que nous avons sortis avec nous et les ramène au sas. J’installe un troisième container qui restera dehors pendant une semaine : nous le ramènerons pendant notre deuxième EVA. Chris termine son dernier travail, un précurseur de l’une de mes tâches de la semaine prochaine, et j’atteins l’entrée du sas. Avant de pénétrer à l’intérieur nous ne pouvons nous empêcher de prendre quelques photos. Puis je me tourne pour un dernier regard vers la Terre, suspendue comme un joyau dans l’obscurité de velours de l’espace, avant d’entrer dans le sas. En quelques minutes, Chris est également à l’intérieur et nous sommes prêts à fermer le sas.

Tout est fini en un instant. Il s’est passé 6 heures et 7 minutes.

 

Cet article a été écrit initialement par Luca Parmitano, le premier astronaute de la promotion 2009 de l’ESA à monter à bord de la Station Spatiale Internationale. Il orbite au dessus de notre tête depuis le 29 Mai 2013. Article en anglais posté le lundi 15 juillet sur le blog de sa mission Volare : A stroll into space

 

 

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