Survivre à l’hiver russe

Article par Samantha Cristoforetti

Le 18 janvier, Thomas et moi avons participé à un entraînement de survie de deux jours qui est obligatoire pour tous les équipages des Soyouz et qui avait pour but de fournir aux astronautes et cosmonautes les compétences et la confiance nécessaire pour survivre par temps froid. Alors que les équipes de secours arrivent généralement sur le site d’atterrissage du Soyouz avant même que la capsule n’ait touché le sol dans le cas d’une descente prévue, une réentrée non prévue en urgence peut se produire à tout moment pendant le vol autonome ou lors de l’amarrage à l’ISS. Dans le pire des cas, même lors d’une ascension en cas de panne de fusée.

Ceci est ma tentative pour partager avec vous notre expérience dans les forêts environnantes de Star City.

Faire démarrer le feu (Credit : GCTC)

Faire démarrer le feu (Credit : GCTC)

Je pourrais regarder indéfiniment la danse hypnotique des flammes. Pourtant, ma garde de nuit d’une heure est terminée : il est temps de réveiller mon coéquipier et d’essayer de dormir. Pendant que Thomas étire ses membres, rigides à cause du froid et du matelas spartiate de feuilles et de branches, je lance un appel radio rapide informant que notre équipage se porte bien. Hier, pendant notre première nuit de survie, la procédure était différente : échoués et sans contact avec les équipes de secours, nous avions lancé trois appels MAYDAY à l’aveugle à deux minutes d’intervalle à chaque heure pile. Procédure inutile désormais, puisque nous avons été localisés.

La nuit dernière nous avons simulé un contact avec un hélicoptère de secours. A leur demande, nous avons allumé notre feu de signalisation et une fusée éclairante afin qu’ils puissent repérer notre position. Comme prévu on nous a dit que nous serions sauvé seulement le lendemain matin et nous voici donc, dans notre tipi, dans ce qui est maintenant principalement un exercice de patience et d’endurance au froid.

 

Thomas ramassant du bois (Credit : GCTC)

Thomas ramassant du bois (Credit : GCTC)

En vérité, on ne peut vraiment pas se plaindre. Il fait -15°C ce soir avec pratiquement pas de vent; la neige au sol est à hauteur de genoux. Je me réjouis de notre bonne fortune quand je pense aux nombreux récits d’équipages faisant leur entraînement dans une neige à hauteur de poitrine et par -30°C. Même dans ces conditions, cela semblait à priori être une tâche redoutable quand, il y a deux jours, on nous a aidé dans nos combinaisons de vol Sokol et qu’on nous a dit de grimper dans un vieux module de descente Soyouz qui était couché sur le sol dans la zone de survie. Nous attendant à l’intérieur, emballé dans le petit volume disponible, le kit de survie standard de Soyouz et des vêtements chauds. Nous attendant à l’extérieur, la voilure du parachute et les cordes, trois revêtements de sièges qu’en principe nous retirerons des sièges et des cuissardes qu’en principe nous découperons de la combinaison Forel de survie dans l’eau.

Thomas est entré le premier. Le trouvant bizarrement perché au dessus du panneau de contrôle, je m’accroupis dans un coin, essayant de faire de la place pour notre commandant, Sergey, afin qu’il entre également et qu’il ferme la trappe derrière lui. Un rapide appel radio, et l’entrainement commence.

Thomas entrant dans le module de descente (Credit : GCTC)

Thomas entrant dans le module de descente (Credit : GCTC)

Rester au sec, régler notre rythme pour ne pas transpirer, a été le conseil numéro un pour prévenir l’hypothermie et ceci est une résolution très présente dans mon esprit. Néanmoins, après quelques minutes, nous sommes tous en sueur. Dans l’espace confiné, nous recherchons et déballons les composants de nos vêtements chauds de survie, chacun marqué avec notre nom : la salopette, le pull, la veste légère, le pardessus (the thick overall ?), la veste épaisse. Et puis les gants, le chapeau, les chaussures. Pendant que j’aide Sergey à retirer le Sokol et que j’essaye de lui donner les vêtements appropriés, je ne peux m’empêcher d’être reconnaissante qu’aucun de nous ne soit particulièrement grand !

Lorsque nous nous frayons un chemin dans les bois, après avoir rassemblé l’équipement de survie et le parachute dans le revêtement des sièges, il nous reste environ 4 heures de soleil.

Le tipi (Credit : GCTC)

Le tipi (Credit : GCTC)

Nous n’avons pas à nous soucier de la nourriture, puisqu’il y a suffisamment de réserves pour au moins trois jours, mais nous allons devoir travailler rapidement pour avoir notre abri, notre feu de signalisation et notre bois de chauffage prêts pour la tombée de la nuit. Sergey repère un bon emplacement pour notre camp : deux arbres droits a environ deux mètres de distance pour le toit de notre abri, beaucoup d’espace à l’avant pour construire notre tipi le lendemain sur la zone qui sera chauffée par le feu de ce soir, une clairière située à environ 100m pour notre feu de signalisation.

Avec une direction ferme, mais aimable et attachante que Thomas et moi avons rapidement appris à apprécier, Sergey distribue les tâches et fait progresser le travail. Ancien pilote de Blackjack dans l’armée de l’air russe, notre commandant a de grandes compétences pour l’extérieur et un instinct naturel pour prendre soin des besoins de chacun. Une autre grande chance, qui sera cruciale pour la création de l’atmosphère douce et chaleureuse qui règne entre nous, laquelle restera comme un souvenir chéri.

Construction du toit de l’abri (Credit : GCTC)

Construction du toit de l’abri (Credit : GCTC)

Partageant un couteau et une machette de notre équipement de survie, nous utilisons des branches de taille moyenne et la corde du parachute pour construire la charpente du toit de notre abri. Nous couvrons ensuite à la fois le sol et le toit avec une importante quantité de branches et de feuilles et recouvrons le tout avec la toile du parachute et les couvertures de survies réfléchissantes. Ce n’est pas un palais, mais ça ira, et je vais en fait dormir quelques heures ce soir, par tranches de 20 à 30 minutes.

Aucune comparaison bien sûr avec notre abri pour la deuxième nuit. En ayant toute la journée à notre disposition, l’instruction est de construire un tipi. Après la construction de la structure conique à l’aide de six grands troncs, nous l’enveloppons avec le parachute : une couche interne basse, jusqu’à hauteur de poitrine environ, et une couche supérieure haute, qui laisse une ouverture au sommet. En insérant des batons longs de 30cm entre les deux couches, nous créons un espace pour laisser circuler l’air frais, tandis que la fumée du feu est évacuée par l’ouverture au sommet.

Simulation d’une jambe cassée (Credit : GCTC)

Simulation d’une jambe cassée (Credit : GCTC)

Me voici donc, passant la radio à Thomas et essayant d’aller dormir. Dans quelques heures nous serons contactés par hélicoptère de secours et on nous donnera un azimut à suivre pour la zone de récupération. Nous savons d’après le briefing que l’un de nous aura à simuler un membre cassé, donc nous devrons avoir des poteaux prêts pour faire un brancard improvisé à partir d’un revêtement de siège.

 

Une fois que tout est fini, j’imagine que nous allumerons une fusée éclairante, en guise de célébration. Et une dernière pensée, pendant que je glisse dans un sommeil léger : que le sauna post-entraînement de demain soit sympa et chaud.

Célébration de la fin de l’entrainement avec une fusée éclairante (Credit : GCTC)

Célébration de la fin de l’entrainement avec une fusée éclairante (Credit : GCTC)

 

 

Cet article a été écrit par Samantha Cristoforetti, l'une des six astronautes recrutés par l'Agence Spatiale Européenne en 2009. Leur groupe a été baptisé les Shenanigans. Vous pourrez lire la version originale en anglais sur le site de l'ESA ici : Surviving the Russian winter

 

 

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