Une réunion longtemps attendue

Article par Thomas Pesquet

La première entrée d’un blog, même si cela n’a rien d’impressionnant ou d’exceptionnel en soi, reste une première. Cela donne en quelque sorte le ton, et même si on nous a toujours dit de ne pas juger sur une première impression, je sais que je ne peux pas modifier un premier mauvais pressentiment et respectivement, qu’une première bonne impression a toujours quelque chose de bénéfique. Puis, après une période d’adaptation variable, cette première impression sera lentement remplacée par ce que vous êtes réellement.

Me voici donc, papotant sur les premières impressions, alors que j’ai (nous avons) tant à dire. Mais une chose à la fois : tout d’abord laissez-moi vous remercier, qui que vous soyez, de venir ici, vous embêtant à lire mes (trop longues) phrases et montrant de l’intérêt pour ce que nous faisons ou essayons de faire.
Je ne sais pas encore vraiment pour qui je suis entrain d’écrire, mais laissez moi faire une hypothèse pour commencer : les passionnés de l’espace qui se seraient, même par hasard aventurés dans ce blog, savent déjà beaucoup de choses sur les aspects techniques d’être un astronaute et l’entraînement pour un vol spatial. J’en ai rencontré tellement qui en savaient plus que moi sur l’ingénierie aérospatiale ou la cosmologie, ou qui pouvaient raconter des centaines d’anecdotes spatiales dont je n’avais jamais entendues parler, que j’ai cessé d’essayer de leur enseigner quoi que ce soit : à l’heure d’internet, ils savent déjà. Ce qu’ils pourraient ne pas savoir, toutefois, et ce qu’ils pourraient attendre, c’est la réalité au jour le jour vue de l’intérieur, de la vie d’un astronaute : les voyages constants, les personnes que vous rencontrez, les expériences incroyables que vous vivez, ce qui est déjà exceptionnel avant le jour du lancement, ce qui est également difficile et parfois douloureux mais fait tout de même partie du travail, les petites histoires, les plaisanteries, la camaraderie, les hauts et les bas, etc. Par conséquent, -mais c’est seulement mon hypothèse et puisque notre ambition collective est de tous contribuer à ce blog, cela pourrait très bien ne pas être le cas pour tout ceux qui prendront la plume- je vais essayer d’éviter trop de technicité et je me concentrerai sur ce qui n’est en général pas dit dans les conférences de presse ou les présentations PowerPoint (mais hé, n’espérez pas de grands secrets… ceux-là nous les gardons pour nous-même). Cela pourrait aussi être juste une question de caractère, je ne sais pas. Ce que je sais c’est que dans un groupe comme le nôtre, vous trouvez autant de (fortes) personnalités et de points de vue différents que vous avez d’individus, alors attendez-vous à l’inattendu…

Ceci étant dit, c’est à moi qu’incombe la tâche de planter le décor pour le suivant, comme dans tout bon texte de littérature, Je dois encore décrire le décor et présenter les personnages.

La cité des étoiles en hiver vu depuis les chambres des astronautes de l’ESA (Credit : ESA)

La cité des étoiles en hiver vu depuis les chambres des astronautes de l’ESA (Credit : ESA)

Le décor est très connu par beaucoup d’amateurs de vols spatiaux habités : il s’appelle la Cité des Etoiles, près de Moscou, et il est le centre d’entraînement et le lieu d’habitation des cosmonautes Russes depuis 50 ans maintenant. Pendant que je suis entrain d’écrire ceci depuis ma chambre dans le Prophylactorium (qui sert de centre de réadaptation après les vols spatiaux de longue durée et également d’hôtel avec des espaces de bureaux pour le personnel de la NASA, de l’ESA et de la JAXA), j’ai une vue magnifique sur certains des bâtiments d’entraînement russe et des blocs résidentiels et des cottages de la NASA qui accueillent les astronautes américains quand ils s’entraînent ici et qui semblent avoir été copier/coller directement des États-Unis. Si je tends le cou depuis le balcon et que je regarde à gauche, j’ai une vue de carte postale de la toute nouvelle église orthodoxe en bois de la Cité des Étoiles, et à droite, je peux voir le lac gelé et le terrain boisé autour. Le temps est splendide aujourd’hui, en dépit des -15°C, et tout est recouvert d’une neige blanche immaculée, à hauteur de genoux partout où elle n’a pas été dégagée, qui reflète la lumière du soleil et amortit tous les sons. Je fais peut-être des envolées lyriques ici, même légèrement, mais c’est réellement ce à quoi ça ressemble; Cela n’a pas toujours été ainsi puisqu’ils ont traversé des moments difficiles ici dans les années 90, et j’étais également un petit peu moins poétique la semaine dernière pendant l’entraînement de survie en forêt, quand je n’avais pas le chauffage central de ma chambre pour donner au paysage de la poésie supplémentaire depuis derrière la fenêtre mais cela mériterait probablement à lui tout seul un autre article de blog. Quoi qu’il en soit, la Cité des Étoiles est vraiment une petite ville russe -école, police et tout- avec un centre de cosmonautes à l’intérieur appelé GCTC (Gagarin Cosmonauts Training Centre : Centre Gagarine de formation des cosmonautes), et nous passons notre temps ici entre les locaux de formation du GCTC, le bureau de l’ESA, le gymnase et la piscine, les cottages de nos collègues de la NASA et nos chambres.

Les chambres sont au même étage, c’est comme si on était de retour dans un pensionnat avec de l’espace supplémentaire et du temps libre, et quand nous sommes arrivés de Cologne avec Andreas dimanche soir il y a une semaine, nous avons été accueillis par Luca, notre pilote d’essai italien préféré, fraichement arrivé des États-Unis que nous n’avions pas vu depuis très longtemps. Andy et moi-même nous vivons à Cologne, en Allemagne, où se situe le centre européen des astronautes, mais Luca a été affecté à un vol de longue durée à bord de l’ISS en 2013, de sorte qu’il fait désormais des aller-retour entre Houston, où il vit maintenant et où il s’entraine sur les avoirs spatiaux américains, et le GCTC où il a beaucoup de cours sur l’ISS, le Soyouz russe qui nous emmènera dans l’espace, etc…

L’étage de l’ESA au Prophylactorium (Credit : ESA)

L’étage de l’ESA au Prophylactorium (Credit : ESA)

Nous ne nous sommes pas vus depuis un certain temps, car même si notre promotion est le groupe de personnes le plus uni que vous pouviez trouver, nous sommes généralement tout autour du monde en raison de la formation ou d’autres activités, alors nous avons très rarement l’opportunité de nous rencontrer comme dans le (déjà) bon vieux temps. Nous étions encore entrain de rattraper le temps perdu dans notre cuisine (où nous aurons des repas et des discussions et des éclats de rire au cours des prochaines semaines de formation) lorsque Samantha est arrivée de l’aéroport et s’est jointe à la réunion. En tant qu’astronaute de réserve, étant entraînée à intervenir au cas où quelque chose arrive à un membre d’équipage avant le lancement, elle voyage beaucoup et possède son propre emploi du temps, mais cette fois elle est à la Cité des Étoiles en même temps que nous. La discussion s’est poursuivie tard dans la nuit, même après avoir fini les chocolats de bienvenue que Yuri et Anna, notre personnel de l’ESA ici, ont gentiment laissé sur la table pour notre groupe comme cadeau de Noël/nouvel an. Après quelques jours nous avons été rejoints par Tim, avec lequel je m’entraîne actuellement sur la combinaison spatiale Orlan, et notre groupe est maintenant au complet, sans Alex qui s’entraîne à Houston pour un vol habité en 2014, et dont le sens de l’humour nous manque beaucoup. Alors seulement par chance, nos emplois du temps de formation coïncidents nous ont réunis ici à la Cité des Étoiles, et cela nous a semblé une assez bonne (ou assez improbable) raison de démarrer notre propre blog.

5 des 6 « Shenanigans » de la promotion 2009, au GCTC (Credit : ESA)

5 des 6 « Shenanigans » de la promotion 2009, au GCTC (Credit : ESA)

J’ai déjà trop écrit pour commencer à décrire en détail la vie de groupe que nous vivons ici, à notre base de Cologne ou ailleurs, la dynamique, les personnalités, mais nous avons déjà vécu tellement de choses pendant la formation de base et depuis que nous avons été recrutés, bonnes et mauvaises, que les liens ne pourraient pas être plus forts et sont là pour rester. Je suis impatient de jouer de la guitare avec Luca, avoir des discussions scientifiques avec Andy au cours du petit-déjeuner, boire un espresso et parler français avec Samantha à la cantine des cosmonautes, aller courir avec Tim dans le froid autour du lac… et que nous recommencions à faire des farces les uns aux autres (je suis entrain d’établir un top 10 de celles-ci, et croyez-moi, il y a beaucoup de choix, incluant celles que l’on s’auto-inflige, mais ça fera probablement partie des secrets que nous garderons…). Le temps manque pour tout raconter ce qu’a été cette incroyable expérience vécue pendant la formation de base, la première phase de l’éducation d’un astronaute, avec ces personnes exceptionnelles, et le temps passe tellement vite que chaque jour apporte ses nouvelles histoires qui remplacent les précédentes. Quoiqu’il en soit, nous avons maintenant un blog, et dans l’avenir nous allons essayer de capturer ces moments pour vous les rapporter, espérons dans un format plus court et plus condensé que ce qu’exige ma formation française littéraire… Parfois nous pourrons également nous concentrer plus sur l’entraînement, et parfois juste sur tout ce que nous avons envie de dire… Je laisse cela aux prochains contributeurs, mais la diversité n’est-elle pas également ce qui rend toute l’expérience d’un astronaute si exceptionnelle, après tout ?

 

Pour conclure, si vous avez des questions (ou même si vous voulez simplement rendre ce lieu vivant), n’hésitez pas à laisser un commentaire !

(NDLT : Laissez plutôt vos commentaires concernant les astronautes sur le blog original si vous voulez qu’ils vous répondent : A long awaited reunion )

 

 

Cet article a été écrit par Thomas Pesquet, l’un des six astronautes recrutés par l’Agence Spatiale Européenne en 2009. Leur groupe a été baptisé les Shenanigans. Vous pourrez lire la version originale en anglais sur le site de l’ESA ici : A long awaited reunion.

 

 

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