Entraînement dans le Soyouz

Article par Luca Parmitano

Sanglé dans mon siège étroit dans le petit cockpit à côté de mon commandant, je scrute les instruments à la recherche d’anomalies. Il n’y a rien d’évident, mais cela ne fait aucun doute dans mon esprit que nous aurons une panne, et même probablement plus d’une. Nous nous sommes désamarré il y a seulement quelques minutes, et déjà nous avons dû utiliser une procédure de secours car la séquence de désamarrage automatique ne s’est jamais enclenchée. Alors, pendant que nous attendons que le vaisseau se réoriente dans l’espace, je vérifie chaque paramètre et les compare mentalement avec les chiffres que j’ai mémorisés, sachant que je trouverai quelque chose, je l’espère avant qu’il ne soit trop tard. J’entends le commandant qui parle à la salle de contrôle, car l’un des systèmes infrarouges qui fournit l’indication verticale à l’ordinateur principal a échoué. « Nous y voilà », je pense, pendant que je reconfigure rapidement le système pour utiliser celui de réserve : mais aussitôt que cela rentre dans la boucle, ça échoue de nouveau. Le commandant devra prendre le contrôle manuel de l’orientation.
Pendant ce temps, je découvre ce qui ne va pas avec le vaisseau : notre pression est constante, mais la pression partielle d’oxygène est entrain d’augmenter lentement. Cela signifie deux choses : nous avons une fuite d’oxygène quelque part, et nous allons dépressuriser le vaisseau afin d’éviter un éventuel incendie. Cela signifie également que nous avons besoin d’interrompre la réentrée normale, et que nous allons effectuer à la place une descente « rapide » d’urgence. C’est alors que je prie silencieusement, comme sans doutes des centaines d’astronautes depuis le premier vol d’Alan Sheppard, « Luca, ne rate pas ça…. »

Le coté positif c’est que nous sommes toujours en sécurité sur le sol, et nous sommes entrain de faire une simulation. Juste une des nombreuses simulations d’urgence que nous effectuons au cours de notre entraînement pour l’Expedition 36, prévu l’année prochaine.

Après avoir terminé toute la formation théorique sur les systèmes du Soyouz, je travaille maintenant principalement sur quatre simulations distinctes.
Le premier type, celui qui réclame le plus de préparation, est l’entraînement « complexe » sur Soyouz. Avec mon commandant, nous parcourons les différentes phases du vol, depuis le lancement jusqu’à l’amarrage puis du désamarrage à l’atterrissage. Nos instructeurs paramètrent toutes sortes de situations d’urgence possibles, et la responsabilité de l’équipage est de réaliser les actions appropriées conformément à la documentation de bord. Parfois, cependant, nous devons compter uniquement sur nos connaissances des systèmes, surtout quand nous n’avons pas de contact radio avec le sol. La plupart des actions sont des moments critiques et nécessitent une coordination parfaite entre les différents membres de l’équipage. Je connais au moins 100 façons de faire rater les choses, parce que je les ai toutes faites, et je compte bien en découvrir au moins 1000 autres au cours de la prochaine année voire plus de simulations.

Le deuxième type est l’entraînement au « rendez-vous ». Pendant ces simulations je m’assois dans la partie supérieure du Soyouz, et j’utilise un télémètre laser pour calculer la distance et la clôture à l’ISS. Le commandant pilote manuellement le vaisseau en utilisant les données que je lui fournis. Les instructeurs peuvent nous positionner à des distances variées et avec des vitesses différentes. Parfois, le vecteur de vitesse est vraiment élevé et si nous ne réagissons pas rapidement, il y a un risque de contact accidentel avec la station, avec des conséquences désastreuses. Ce type de simulation nécessite également beaucoup de discipline et de la coordination entre l’ingénieur de vol et le commandant. Les instructeurs peuvent ajouter une panne du télémètre laser aux simulations, pour rendre les choses plus intéressantes : je peux alors aider mon commandant en devinant/estimant l’intervalle à l’aide des tableaux que j’ai construits dans ma checklist. Mon commandant est très expérimenté, donc je sais que si j’entends “спасибо (spasiba)” cela signifie que mon estimation était à peu près précise. Si je n’entends rien, et bien, probablement pas si précise.

Le troisième type de simulation est celui qui pour moi est le plus gros défi (c’est à dire : des milliers de façons de faire rater les choses) et à la fois le plus amusant : l’amarrage manuel. J’ai effectué ceux-ci moi-même, dans le siège du commandant, et cela se rapproche du pilotage d’un vaisseau spatial tout en restant sur terre. Le concept est semblable au rendez-vous, sauf que maintenant mon travail est de conduire le Soyouz au port d’amarrage qu’on lui a affecté, avec des paramètres très, très strictes. La chose intéressante c’est que la cible se déplace, tournant sur ses trois axes, et le pilote doit faire correspondre manuellement tous les mouvements pour réaliser l’amarrage. L’autre chose intéressante c’est que nous n’utiliserons cette approche qu’en cas de panne de l’ordinateur principal, donc nous n’avons aucune données pour l’intervalle et la vitesse : nous devons les calculer nous-même en utilisant les courbes de nos checklists, et le faire en temps réel pendant le vol du Soyouz. Maintenant vous voyez ce que je veux dire par défi ? Les instructeurs peuvent également provoquer d’autres pannes, par exemple ils peuvent figer les images de la caméra que nous utilisons pour la surveillance. La pire des choses qui puisse arriver c’est un contact incontrolé avec l’ISS. Les instructeurs vous dirons calmement : « Non, vous ne souhaitez pas le faire ». Mais ne me demandez pas comment je sais cela.

Le dernier type de simulation sur lequel je m’entraîne en ce moment est l’atterrissage manuel. Je trouve que ces simulations sont également un défi (la définition précitée demeure) et amusantes, et chacune ne dure que quelques minutes, elles sont donc extrêmement dynamiques. En cas de panne majeure pendant la phase de réentrée, l’équipage a toujours la possibilité de contrôler la capsule de ré-entrée, après séparation, au cours de la première partie de la descente dans l’atmosphère. Cet entraînement est également effectué individuellement, depuis le siège du commandant. En utilisant l’interface du système de contrôle manuel, nous pouvons faire tourner la capsule, ainsi que changer le coefficient de portance du module de descente. Cependant, la capsule vole comme une brique, cela demande donc un peu de pratique pour comprendre comment le vaisseau réagit aux données entrées en manuel. Les paramètres à maintenir sont le facteur de charge (G load) et le lieu d’atterrissage, mais les variables sont si nombreuses qu’il n’y a pas deux entrées identiques. Au début, je conservais soit un facteur de charge trop élevé soit un atterrissage dans un pays tout à fait différent, au grand dam et/ou amusement de l’instructeur. Mais cela s’améliore en permanence.

Dans les prochaines semaines je vais travailler presque exclusivement sur ces simulations, en m’entraînant avec mon équipage. Puis je retournerai à Houston et au JSC pour un tout autre type d’entraînement. Mais c’est une autre histoire, à raconter la prochaine fois.

 

 

Cet article a été écrit par Luca Parmitano, l’un des six astronautes recrutés par l’Agence Spatiale Européenne en 2009. Leur groupe a été baptisé les Shenanigans. Luca sera le premier des six astronautes à se rendre à bord de la Station Spatiale Internationale en 2013. Vous pourrez lire la version originale de cet article en anglais sur le site de l’ESA ici : Training in the Soyuz

 

 

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