Apprendre à « sortir dans l’espace »

Article par Timothy Peake

L’une des images les plus fascinantes des vols spatiaux, au moins à mon avis, ce n’est pas la puissance énorme libérée par une fusée de 3000 Tonnes quittant la Terre, ni la grâce d’une station spatiale de la taille d’un terrain de football planant au dessus d’un océan. Pour moi, ce qui incarne la réussite humaine c’est l’image d’un astronaute flottant librement dans l’espace, contemplant l’Univers à volonté, non encombré par la gravité gênante (cependant plutôt essentielle) de la Terre. Quand on me demande quel astronaute m’a inspiré le plus, je suis tenté d’énumérer les plus évidents « premiers » accomplissements de Yuri Gagarin, Neil Armstrong ou Alexey Leonov.

Bruce McCandless – première EVA sans attaches (Credit : NASA)

Bruce McCandless – première EVA sans attaches (Credit : NASA)

La vérité c’est que la photo de Bruce McCandless réalisant la première sortie extra-véhiculaire (EVA, plus communément connue sous le nom de « sortie dans l’espace ») sans attaches est non seulement une énorme source d’inspiration mais elle me fait me demander ce que l’on doit ressentir…vraiment ressentir. L’exaltation de s’imprégner d’une vue qui est tout simplement sans égal, l’exposition et l’isolement en flottant à 200m du refuge de la navette et l’appréhension de savoir que seules quelques couches de tissu vous séparent des dangers du vide profond, les températures paralysantes, la radiation et les micrométéorites. Heureusement ces quelques couches de tissu ont triomphé de l’environnement hostile de l’espace et à ce jour, des centaines d’EVA ont été réalisées par des astronautes de différents pays.

Et c’est ce qui m’amène au Centre Gagarine d’Entraînement des Astronautes (à la Cité des Etoiles) en janvier 2012, avec mon grand ami Thomas Pesquet – pour apprendre le « Orlan MK », la plus récente des combinaisons spatiales de la Russie, conçue pour protéger les astronautes lorsqu’ils réalisent une EVA. A l’issue de notre formation, nous serons qualifiés pour réaliser une EVA en utilisant ce système, après avoir appris à entretenir et exploiter la combinaison, à conduire des manoeuvres de dépressurisation et de repressurisation du sas et à gérer les situations d’urgence qui pourraient survenir.

Notre cours de 5 semaines démarre – comme toujours – dans la salle de classe. Tout comme un petit enfant les jours qui précèdent Noël, nous devons supporter des heures d’attente (dans notre cas… la théorie) avant de pouvoir jouer avec nos jouets. Cependant voici le genre de théorie que j’ai. Une combinaison spatiale c’est comme une mini station spatiale avec son propre équipement de survie, son alimentation électrique, son contrôle thermal, ses communications voix et données et ses systèmes de contrôle informatique – tous conçus pour garder un astronaute en vie jusqu’à 10 heures dans l’espace. Après avoir passé la plupart de ma carrière à étudier des systèmes similaires sur de nombreux types d’avions, j’ai développé la passion plutôt « nerd » de vouloir comprendre comment les choses fonctionnent et donc, c’est avec une certaine délectation que je commence à étudier de près les diagrammes d’ingénierie dans nos manuels de formation.

Thomas Pesquet (Credit : GCTC)

Thomas Pesquet (Credit : GCTC)

Je vais essayer de ne pas vous ennuyer avec les « trucs techniques » mais si vous me permettez quelques paragraphes… le composant le plus vital de la combinaison est l’oxygène, pas seulement pour respirer, mais aussi pour la pression… et cette combination spatiale a de l’oxygène en abondance. Il y a 2 réservoirs, chacun capable de fournir plus de 800 litres d’oxygène. Dans la combinaison nous respirons de l’oxygène pure et en consommons environ 50 litres par heure, donc dans des conditions normales chaque réservoir dure plus de 16 heures. Le dioxyde de carbone exhalé est évacué par un filtre au lithium ion et l’oxygène frais est injecté dans la combinaison pour compenser la chute de pression qui en résulte. Des ventilateurs électriques font circuler l’oxygène dans la combinaison -il s’agit d’une conception admirablement simple construite pour des normes russes bien solides.

La combinaison doit être pressurisée intérieurement pour se protéger contre le vide spatial -sans pression exterieure tous les gaz sortent de notre système sanguin, incluant bien sûr l’oxygène, et un astronaute perdrait conscience après environ 15 secondes. Pas besoin de s’éterniser sur les discussions les plus horribles pour savoir si oui on non notre sang « bouillirait » ou si le corps se dilaterait- nous serions totalement inconscients ! Cependant, si la combinaison était pressurisée à une atmosphère terrestre « normale » du niveau de la mer (760mmHg) elle serait si rigide lors d’une utilisation dans le vide qu’un astronaute serait incapable de bouger. Donc la « Orlan » fonctionne à un compromis raisonnable de 300mmHg, ce qui signifie que notre corps ressent la même pression que si nous étions au sommet d’une montagne de 7000 mètres (en respirant de l’oxygène pur). Même à cette pression, la combinaison est extrêmement rigide et de simples tâches comme actionner des interrupteurs, des leviers, faire tourner des valves – tout ce qui demande une flexion des coudes ou des doigts – est extrêmement difficile, comme Thomas et moi allions bientôt le découvrir.

En enfilant la combinaison, l’impression de faire de nouveau de la spéléologie (Credit : GCTC)

En enfilant la combinaison, l’impression de faire de nouveau de la spéléologie (Credit : GCTC)

Donc avec notre semaine de théorie achevée, il était enfin temps de revêtir les combinaisons, suspendues au plafond dans le simulateur « à sec ». Le processus commence avec une courte évaluation médicale avant de mettre l’équipement de surveillance médicale, les vêtements en coton, les chaussettes, le casque et une combinaison avec liquide de refroidissement. La combinaison de refroidissement va pomper de l’eau tout autour du corps et expulser la chaleur en excès dans l’espace – c’est un système extrêmement efficace et chaque combinaison a un levier de contrôle de la température pour le confort. En glissant avec soin, les pieds les premiers dans la combinaison, je me rapelle de mon expérience récente de spéléologie avec l’ESA, passant de justesse dans des espaces étroits dont vous n’êtes pas sûr de comment en ressortir. Comme le sac à dos est verouillé et scellé, je suis reconnaissant de n’avoir jamais eu de problèmes avec les espaces restreints – Je me sens vraiment parfaitement réconforté par les limites de la combinaison, mais je peux m’imaginer que pour quelqu’un qui souffre même du plus petit sentiment de claustrophobie, cela s’apparenterait à de la torture médiévale.

Une combinaison correctement ajustée est essentielle – et parce que la combinaison s’élargira une fois pressurisée elle se doit d’être légèrement trop petite quand vous y entrez, mais bien qu’étant un peu à l’étroit ce n’est pas inconfortable et bientôt j’apprends comment bouger mes bras. « Pensez comme un robot » nous dit Oleg, notre instructeur russe, « et bougez lentement – économisez votre énergie. » Cela fonctionne bien et bientôt Thomas et moi nous nous familiarisons avec les commandes mécaniques et informatisées de la combinaison. Après 3 heures de travail sous pression (littéralement), nous sortons de nos combinaisons avec un nouveau respect pour juste comment cela doit être difficile de réaliser une vraie EVA de 6 heures. Des muscles dont je n’avais jamais soupçonné l’existence sont douloureux, quelque chose m’a gratté l’oeil pendant la dernière heure et je n’ai rien pu faire pour m’en débarasser, je suis déshydraté et j’ai des crampes dans mes poignets, mes bras et mes doigts. Mais nous sourions – peut-être les plus grands sourires depuis l’expérience du vol parabolique Zero G. Voici ce que c’est la vie d’un astronaute.

« Pensez comme un robot » – Remarquez les patches des Shenanigans ;) (Credit : GCTC)

« Pensez comme un robot » – Remarquez les patches des Shenanigans 😉 (Credit : GCTC)

Comme nous commençons à trouver le travail dans la combinaison plus facile à chaque simulation à sec, les tâches deviennent plus complexes et on ne tarde pas à être prêt à progresser vers l’étape finale de notre entraînement – « l’Hydrolab ». L’Hydrolab à la Cité des Etoiles est une piscine circulaire de 10m de profondeur et 24m de diamètre. Les maquettes des segments russes de la Station Spatiale Internationale sont abaissés dans l’eau sur une plateforme et les astronautes peuvent pratiquer les compétences EVA en utilisant la flotabilité neutre de l’eau pour simuler l’apesenteur. Enfermé une fois de plus hermétiquement dans ma combinaison, on me descend dans le bassin avec une petite grue – et pendant un court instant je me demande ce qu’il se passerait s’il y avait une panne catastrophique sous l’eau – comme un gant s’en allant… parfois il vaut mieux ignorer, j’imagine. Alors que nous plongeons je commence à inspecter mon nouvel environnement. La courbure de la visière donne un petit effet « bocal à poisson » et j’apprends vite que c’est mieux de ne pas trop bouger la tête d’avant en arrière car c’est légèrement déroutant.

Tim et Thomas – juste suspendu (Credit : GCTC)

Tim et Thomas – suspendus (Credit : GCTC)

Thomas et moi sommes placés dans le sas et le chronomètre démarre. Il y a très peu de place pour bouger. Les tâches qui étaient relativement faciles en scaphandre de plongée la veille, demandent des tonnes de concentration, d’efforts et de temps et après 20 minutes tout ce que nous avons accompli c’est d’ouvrir la trappe, installer un protecteur de joint d’étanchéité et sortir du sas avec tout notre matériel. Nous nous déplaçons le long de notre trajet planifié, attachant nos longes de sécurité type « via ferrata » aux mains courantes avec toujours deux points de contact. Chaque mouvement est observé par quelques caméras et nous savons qu’on nous arrêtera à la moindre erreur, pour une bonne raison – les chances de réussite d’un sauvetage d’astronaute « perdu dans l’espace » ne sont pas bonnes. Tandis que chaque tâche est accomplie je peux sentir la force de mes bras et mes doigts diminuer. La combinaison s’est élargie et n’est plus très bien ajustée mais je suis heureux, j’ai terminé l’EVA en ayant conservé une certaine énergie. C’est à dire, jusqu’à ce que je me rende compte que Thomas a été chargé de « jouer » l’inconscient – une situation d’urgence qui nécessite qu’un astronaute récupère l’autre dans le sas, en faisant seul toutes les manoeuvres. La matinée va être longue ! Après environ 3h et demie sous l’eau, nous sommes de retour sur la terre ferme, très heureux d’avoir achevé avec succès notre première plongée en combinaison. Après une expérience si étrange et unique, il semble parfaitement normal que la première chose qui arrive lorsque nous retirons nos combinaisons c’est de nous voir offrir une tasse de thé chaud par un gentil médecin russe – Comme c’est civilisé !

Thomas va dans le sas (Credits : GCTC)

Thomas va dans le sas (Credits : GCTC)

Une EVA est probablement la tâche la plus exigeante physiquement parlant qu’un astronaute peut prendre en charge. Avec le recul, Bruce McCandless n’était peut-être pas entrain de « contempler l’univers à volonté » – Il était probablement entrain d’essayer de plier ses doigts pour atteindre le contrôle du propulseur et retourner à la navette, avec de la sueur piquant ses yeux et un microphone collant à son nez – soignant ses coudes et ses doigts endoloris et souffrant d’une fatigue musculaire complète et totale. Dans tous les cas est-ce que cela gâche l’image pour moi ? Pas du tout – je regarde cette photo aujourd’hui avec un plus grand émerveillement, une plus grande admiration et inspiration que je ne le faisais il y a 5 semaines.

 

 

Cet article a été écrit par par Timothy Peake, l’un des six astronautes recrutés par l’Agence Spatiale Européenne en 2009. Leur groupe a été baptisé les Shenanigans. Vous pourrez lire la version originale de cet article en anglais sur le site de l’ESA ici : Learning to 'spacewalk'

 

 

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