« Station, Munich, sur espace-sol 1 »

Article par Andreas Mogensen

« Bonjour, Munich », c’est ainsi que commence chaque nouvelle journée au centre de contrôle Columbus à Oberpfaffenhofen, près de Munich, lorsque l’équipage à bord de l’ISS appelle pour la conférence de planification quotidienne (DPC) du matin. L’appel qui est normalement reçu à 08h00 UTC (09h00 heure locale en Allemagne) est littéralement une téléconférence « en-dehors-de-ce-monde » entre les astronautes à bord de l’ISS et les équipes de contrôle de vol à Houston, Huntsville, Moscou, Munich et Tsukuba au Japon. Les astronautes et les équipes de contrôle de vol à travers le monde discutent de tous les changements de dernières minutes concernant les activités prévues pour la journée et résolvent toutes les questions en suspens.

Le Centre de Contrôle Columbus à Munich    (Credits : ESA)

Le Centre de Contrôle Columbus à Munich (Credits : ESA)

La communication vocale entre les astronautes et l’équipe de contrôle de vol est de la responsabilité d’une seule personne, connue sous le nom de communicateur de capsule ou Capcom au Centre de Contrôle de Mission du Centre Spatial Johnson (JSC) de la NASA à Houston. C’est un poste qui remonte au début des vols spatiaux habités dans les années 60, quand les astronautes volaient à bord des capsules Mercury, Gemini et Apollo. Traditionnellement les astronautes ont joué ce rôle, l’idée étant que les astronautes peuvent traduire les instructions du jargon technique des contrôleurs de vol dans un langage plus utile d’un point de vue opérationnel et plus important encore, comprendre les besoins opérationnels de leur collègues astronautes dans l’espace.

Avec le lancement et l’amarrage à l’ISS du module du laboratoire européen « Columbus » en 2008, il est devenu nécessaire qu’une équipe de contrôle de vol européenne supervise les opérations quotidiennes dans Columbus. Ainsi est né le Centre de Contrôle Columbus (COL-CC) et, avec lui, le poste de Capcom Européen ou Eurocom.

La console Eurocom à l'EAC à partir de laquelle nous pouvons travailler lorsque nous ne sommes pas au COL-CC (Credits : ESA)

La console Eurocom à l’EAC à partir de laquelle nous pouvons travailler lorsque nous ne sommes pas au COL-CC (Credits : ESA)

C’est aussi pourquoi je suis ici cette semaine au COL-CC pour participer à une simulation d’entraînement conjointe multi-segment (JMST), qui est le jargon technique pour une simulation d’entraînement aux activités quotidiennes à bord de l’ISS, impliquant tous les partenaires internationaux. Car, bien que beaucoup de notre temps soit consacré à la formation, comme vous le savez sans aucun doute en lisant ce blog, nous avons également beaucoup d’autres fonctions et responsabilités en tant qu’astronautes, spécialement pour ceux d’entre nous qui ne sont pas encore affectés à une mission. Pour Thomas, Tim et moi-même cela signifie passer une partie de notre temps à travailler comme Eurocom au COL-CC.

« Eurocom, Capcom, sur le circuit Xcom pour la coordination de la DPC du matin », appelle David Saint-Jacques (@Astro_DavidS), mon collègue astronaute de l’Agence Spatiale Canadienne, qui, dans le rôle du Capcom, est actuellement assis au JSC à Houston et participe au même JMST.

« Bonjour David », je réponds.

« Bonjour Andreas. Quand l’équipage appellera pour la DPC de ce matin, je vous les passerai et quand vous aurez fini, vous les passerez au Glavny à Moscou », informe David. Glavny, ou Главный en Cyrillic, est l’équivalent russe du Capcom au Centre de Contrôle de Mission à Moscou.

Je suis un petit peu nerveux aujourd’hui, puisque c’est mon premier JMST et la première fois que je parle avec le Capcom à Houston « par-dessus les circuits ». En plus des quatre simulations d’entraînement européen que j’ai terminé, j’ai besoin de participer à trois JMST avant d’être certifié pour travailler en opérations temps réel. Thomas et Tim ont été tous les deux certifiés plus tôt cette année et ont déjà fait quelques passages réels sur console.

Pendant la simulation d’aujourd’hui, les remplaçants de l’équipage qui jouent le rôle des astronautes à bord de l’ISS sont non seulement des instructeurs de l’EAC et du JSC, mais également notre collègue astronaute Hans Schlegel, qui a volé à bord de la navette spatiale Atlantis sur STS-122 en février 2008, qui avait délivré et installé Columbus sur l’ISS. Aujourd’hui les remplaçants d’équipage vont réaliser les expériences « Energy » et « Meteron » dans Columbus et vont m’envoyer à moi ainsi qu’aux autres membres de l’équipe de contrôle de vol autant de questions que possible, dans le but d’essayer d’anticiper toutes les questions réelles que l’équipage à bord de l’ISS pourrait poser, quand ils réaliseront vraiment, dans quelques semaines, les expériences en conditions de micro-gravité.

Hans Schlegel réalisant une sortie extra-véhiculaire pendant l'installation de Columbus (Credits : ESA/NASA)

Hans Schlegel réalisant une sortie extra-véhiculaire pendant l’installation de Columbus (Credits : ESA/NASA)

Hans et moi-même sommes au milieu de la DPC du matin discutant de l’expérience « Energy » lorsque la lumière jaune d’un avertissement clignote tout à coup sur le tableau de télémétrie. Une prise de courant de Columbus a disjoncté, probablement dû à une sur-tension.

« Col-Flight, COL-SYS, à vos postes. Je vois un avertissement dans Columbus. La prise PDU a disjoncté, probablement dû à une sur-tension. Nous avons besoin que l’équipage réalise un test de reniflement dans Columbus pour une odeur de brûlé », rapporte le contrôleur des SYStèmes COLumbus sur le circuit vocal du directeur de vol.

« Eurocom bien reçu », je déclare sur le circuit du directeur de vol, tandis que Hans continue de parler sur le circuit espace-sol, pas au courant de la conversation simultanée en cours au centre de contrôle.

« Stop, stop, Hans », je l’interromps au milieu de sa phrase. « Nous avons une alarme dans Columbus. Prise PDU disjonctée. Nous avons besoins que tu ailles dans Columbus sentir s’il y a une odeur de brûlé dans la zone du pont de l’extrémité droite.

« Bien parlé », confirme le COL-SYS sur le circuit du directeur de vol, indiquant que j’ai correctement relayé l’information à l’équipage.

La DPC du matin est interrompue, tandis que Hans prétend aller à Columbus afin de déterminer s’il y a effectivement un incendie. Hans suit attentivement le script que les directeurs de la simulation ont méticuleusement préparés des semaines à l’avance et qui permet de tester les réactions de l’équipe de contrôle du vol aux situations inattendues. Une minute plus tard, il est de retour sur les circuits.

« Munich, Station, sur espace-sol 1 pour incendie possible dans Columbus », appelle Hans. « Je ne détecte aucune odeur de brûlé dans Columbus ou aucun autre signe d’incendie ».

« Probable dysfonctionnement. Pas d’intervention de l’équipage prévue pour le moment », déclare le COL-SYS, qui était à l’écoute sur le circuit espace-sol.

« Hans, bien reçu, pas de signe d’incendie dans Columbus », je répète. « Merci d’avoir vérifié pour nous. Nous n’avons pas d’avantage d’actions pour vous pour le moment. Nous allons résoudre le problème depuis le sol. »

Le COL-SYS et le reste des contrôleurs de vol au COL-CC s’activent, essayant de déterminer quel équipement a déclenché l’alarme d’avertissement. La DPC du matin n’est même pas encore finie que nous avons déjà eu notre premier dysfonctionnement de la journée. Ca va être une longue simulation !

Cependant nous tester nous-même contre tous les dysfonctionnements et les cas d’urgence possibles, c’est ce qui va affiner nos compétences de contrôleurs de vol et, dans quelques mois je l’espère, me permettra de m’asseoir à la console en temps réel et d’aider André Kuipers (@Astro_Andre) et ses coéquipiers dans leurs activités quotidiennes à bord de l’ISS.

André Kuipers préparant une expérience dans Columbus (Credits : ESA)

André Kuipers préparant une expérience dans Columbus (Credits : ESA)

 

 

Cet article a été écrit par Andreas Mogensen, l’un des six astronautes recrutés par l’Agence Spatiale Européenne en 2009. Leur groupe a été baptisé les Shenanigans. Vous pourrez lire la version originale de cet article en anglais sur le site de l’ESA ici :  "Station, Munich, on space-to-ground 1"

 

 

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