L-417 : Mes pensées finales sur Gravity

L-417 : Jeudi 10 octobre 2013

Je viens d’arriver à Houston après un long voyage pendant lequel j’ai eu le temps de noter quelques remarques finales sur Gravity. S’il vous plait, voyez mes notes d’hier (L-418) et spécialement celles de lundi (L-420) pour mes pensées générales sur le film. Pour faire court, allez le voir, ce sera une grande expérience esthétique et une rencontre de près avec du matériel spatial étonnant que nous exploitons vraiment en orbite, en ce moment.

Comme je l’ai mentionné avant, le rendu du matériel est étonnamment réaliste, les évènements et les opérations ne le sont pas autant. Voici quelques pensées supplémentaires là-dessus.

(ATTENTION SPOILERS !)

12/ Effectuer un rendez-vous

Vous êtes assis dans votre petit Soyouz et vous voulez voler vers la Station Spatiale Internationale ? Cela est fait quatre fois par an, soit dit en passant – à chaque fois qu’un nouvel équipage est envoyé vers la Station. Cela s’appelle un rendez-vous et c’est techniquement ce qu’essaie de faire le docteur Stone lorsqu’elle vise Tiangong (La station chinoise) et tente de mettre en route le moteur principal du Soyouz. Sauf que ça ne fonctionne pas de cette façon-là.
Disons que vous êtes à la traîne derrière la Station. Pour la rattraper, vous avez besoin d’être à une orbite plus basse. Voici l’astuce : chaque orbite a sa vitesse orbitale spécifique. Le plus bas vous êtes, le plus vite vous allez. Donc, si vous êtes sur une orbite plus basse que votre cible, vous la rattrapez : nous appelons cela la mise en phase (phasing). Puis, à un moment donné vous avez besoin de monter à l’orbite de votre cible. Pour cela, vous allez faire deux mises à feu posigrades (c’est à dire vers l’avant) à deux moments précis. Ceci, croyez-le ou non, va vous faire aller plus lentement. Mais cela élèvera votre orbite, ainsi vous aurez atteint vos buts : atteindre votre cible et vous adapter à sa vitesse plus lente. Vous comprenez où je veux en venir : même dans le cas le plus simple possible que j’ai décrit, un rendez-vous implique d’allumer le moteur à plusieurs reprises dans des orientations et des durées extrêmement précises. Il n’y a pas de « viser et tirer » ici !

13/ Vous ne pouvez pas tromper le Soyouz…

… et lui faire croire qu’il est à 3 mètres du sol. Il n’existe pas de formats de commandes pour entrer manuellement la « hauteur-par-rapport-au-sol » et les fusées pour l’atterrissage en douceur sont mises à feu automatiquement sur commande d’un radar altimètre. De plus, pour les découvrir, non seulement vous devriez séparer les modules du Soyouz (ce qu’ils ont fait, j’ai aimé ça !) mais vous auriez également besoin de séparer le bouclier thermique qui protège le fond du module de descente pendant la rentrée. Et, vous l’avez deviné, cela se fait également de façon automatique.

14/ Piloter l’extincteur

Peu importe que nous n’ayons pas de porte latérale dans le module de descente du Soyouz (pourquoi en aurions nous besoin ?), mais quelles sont les chances de réussir à atteindre l’ISS en utilisant un extincteur ? Je me souviens d’une vieille publicité pour les pneus qui disait « la puissance ne sert à rien sans le contrôle ». Dans ce cas je dirais « La poussée ne sert à rien sans le contrôle ».  Disons que vous voulez vous déplacer droit derrière vous. En premier, vous devez vous assurer que vous orientez votre corps pour que la cible soit exactement derrière vous (comment ?). Ensuite la direction de tir de l’extincteur doit être parfaitement alignée avec le centre de la masse de votre système corps/combinaison. S’il est ne serait-ce que légèrement décalé, vous tourneriez inévitablement. Supposons que vous avez réussi à positionner votre cible exactement derrière vous. Dès que vous commencez à tourner, votre cible n’est plus derrière vous… vous commencez à voir le problème là ?

15/ La rentrée atmosphérique

Lorsque nous pratiquons la rentrée dans le simulateur Soyouz à star City il y a une chose que nous avons besoin de faire dans tous les cas, en dépit des instructeurs qui nous envoient des combinaisons de dysfonctionnements dignes de, disons, un film : nous devons absolument effectuer une mise à feu de freinage dans la bonne orientation et avec le delta V (i.e. le changement de vitesse, NdlT) requis. En un mot cela signifie que nous ralentissons autant que nécessaire pour rencontrer l’atmosphère avec un angle approprié. Pourquoi est-ce si important ? Et bien, il se trouve que c’est la clé pour notre retour à la maison en un seul morceau. Je vais vous laisser juger si le scénario type « jour d’apocalypse » dépeint dans le film aurait pu bien se terminer pour le Dr Stone.

16/ Et finalement…

… que l’on sache que les Russes ne sont pas fous, et ne sont certainement pas des nouveaux arrivés dans le marché spatiale. Je suppose que l’on pourrait argumenter qu’ils l’ont inventé. Cette réaction en chaîne catastrophique de débris spatiaux n’est pas réaliste. Que les Russes, qui ont en permanence trois membres d’équipage dans l’ISS, le provoquerait, c’est absurde !

Il y aurait bien sûr encore plein de petites choses : la chute partielle de la pression d’oxygène dans le module de descente sans une baisse générale de la pression, la sortie de la combinaison Sokol sous l’eau en quelques secondes (ce n’est vraiment pas une combinaison que l’on peut retirer rapidement, comme vous pouvez le voir sur la photo), mais je vais considérer cela comme étant une affaire close de mon coté. De retour à mon propre entraînement demain !

 

Cette note est la suite d’une longue série de notes de Samantha Cristoforetti qui a entrepris l’écriture d’un journal de bord quotidien qui la mènera au jour de son lancement, pour le moment prévu le 30 novembre 2014.
La version anglaise (originale) peut être consultée sur son compte Google+ et la traduction italienne sur le site AstronautiNEWS. Toutes les photos postées sont sa propriété et proviennent de son journal de bord sur son compte Google+.

 

 

2 commentaires

  • Agnès Nourrisson

    Merci beaucoup pour toutes ces traductions et photos. Déjà fan d’astronomie et de tout ce qui concerne l’espace et sa conquête, je suis encore plus fan de Samantha que je connais un tout petit peu.
    Bien sincèrement.
    Une autre ancienne informaticienne.

  • Anne

    Merci Agnès pour ces encouragements ! Ca fait plaisir d’avoir des retours sur ces traductions.

    Anne

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.