Un voyage dans le vide

Article par Samantha Cristoforetti

Avec Alex dans la combinaison Orlan (Credit : ESA/S.Cristoforetti)

Avec Alex dans la combinaison Orlan (Credit : ESA/S.Cristoforetti)

Siffler, n’importe quoi. Tout comme mon compatriote « Shenanigan » Alex juste à coté de moi, je suis entrain de froncer les lèvres et j’essaye avec diligence, mais les résultats sont modestes. Siffler peut être une tâche assez simple, mais pas lorsque l’atmosphère dans nos combinaisons Orlan est réduite à moins de la moitié de la pression normale du niveau de la mer, beaucoup trop raréfiée pour qu’un son convenable ne soit produit. Même la hauteur de nos voix est changée puisque l’atmosphère très mince passe sur nos cordes vocales. Et l’enrouement dans ma gorge est accompagné d’une sensation générale inhabituelle dans mes voies respiratoires : pas du tout désagréable ou inquiétante, juste très nouvelle pour moi.

Entrée dans la combinaison Orlan MK (Credit : ESA/S.Cristoforetti)

Entrée dans la combinaison Orlan MK (Credit : ESA/S.Cristoforetti)

En vérité, la plupart des exercices d’aujourd’hui n’ont pas été très différents des quelques simulations que nous avons effectuées la semaine dernière au Centre d’entraînement des cosmonautes à la Cité des Étoiles. Nous avons enfilé notre sous-vêtement bleu de refroidissement à eau avec ses petits tubes dans lesquels circule de l’eau réfrigérée pour évacuer la chaleur de notre corps. Nous avons mis en route la combinaison Orlan et son ordinateur et nous avons exécuté les vérifications de configuration initiale. Enfin nous sommes « entrés » dans la combinaison, comme le disent nos amis Russes. En effet, vous n’enfilez pas l’Orlan, vous entrez dedans : vous connectez les lignes de communication de votre casque, les tuyaux d’eau de votre sous-vêtement, les câbles de télémétrie médicale qui transmettent les données concernant votre rythme cardiaque, votre température corporelle, votre fréquence respiratoire, vous allumez le ventilateur et la pompe à eau et puis vous entrez dans la combinaison via la « porte » à l’arrière et vous la fermez derrière vous en tirant sur un câble d’acier à l’avant. Assez simple !

Utilisation du miroir gauche pour attacher le cordon ombilical (Credit : ESA/S.Cristoforetti)

Utilisation du miroir gauche pour attacher le cordon ombilical (Credit : ESA/S.Cristoforetti)

Une fois dans la combinaison, nous sommes passés à l’exécution des opérations de sas, c’est à dire toutes les actions qui doivent être effectuées avant de retirer tout l’air du sas de sortie et d’ouvrir la trappe vers l’espace. Tout d’abord, et si on vérifiait que la combinaison ne fuit pas ? Pour ce faire, nous ouvrons les conduites d’oxygène de la combinaison depuis l’alimentation embarquée et nous la gonflons, à peu près comme vous le feriez avec un ballon, et nous observons ce qui se passe pendant environ une minute. De la même manière que votre ballon n’est pas complètement étanche et finira par se dégonfler, les combinaisons Orlan fuient un petit peu. Nous observons l’aiguille de la jauge de pression différentielle bouger, mais tant que la baisse se situe dans des limites acceptables, l’oxygène des bouteilles de la combinaison sera suffisant pour compenser les pertes et garder la combinaison gonflée pendant plusieurs heures.

Je dois admettre que j’ai accordé une attention spéciale aujourd’hui à la vérification des fuites. Après tout, quand nous avons fait cela à la Cité des Étoiles, personne n’allait faire le vide autour de nous. Mais ici, sur le site de Zvezda, le fabricant des combinaisons Orlan, c’est exactement ce qui est prévu. Nous sommes après tout dans une chambre à vide.

Exécution des opérations du sas de sortie avec mon collègue Alex (Credit : ESA/S.Cristoforetti)

Exécution des opérations du sas de sortie avec mon collègue Alex (Credit : ESA/S.Cristoforetti)

Après le contrôle des fuites, nous rééquilibrons la pression avec l’extérieur et dégonflons l’Orlan. A ce stade nous rouvrons les conduites d’alimentation de la combinaison pour être sûr de remplacer tout l’air intérieur avec de l’oxygène pur. Dans les exercices précédents, nous avons simulé cette étape, mais nous ne l’avons jamais vraiment réalisée. Pensez-y : si la pression autour de vous reste à environ 1 atmosphère (notre pression atmosphérique normale au niveau de la mer), afin de s’entraîner à travailler dans une combinaison gonflée vous avez besoin de la pressuriser à un niveau supérieur à la pression atmosphérique. En fait, environ 1,4 atmosphères, ou 0,4 atmosphères au dessus de la pression extérieure. Pas besoin d’oxygène pur dans ce cas : il y a suffisamment d’oxygène dans l’air normal. Mais aujourd’hui nous allons faire le vide autour de nous, donc la pression à l’intérieur de la combinaison va éventuellement être à seulement 0,4 atmosphères. A cette pression, notre air normal ne contient pas suffisamment d’oxygène à respirer, puisque environ 80% de celui-ci est composé en fait d’azote : c’est pourquoi nous devons veiller à remplacer tout l’air avec de l’oxygène pur.

Tentative de se déplacer dans la Orlan MK (Credit : ESA/S.Cristoforetti)

Tentative de se déplacer dans la Orlan MK (Credit : ESA/S.Cristoforetti)

Descendre à 0,4 atmosphère soulève également un autre problème avec lequel les plongeurs sont très familiers : le risque d’accident de décompression. Et donc, après s’être assuré qu’aucun azote n’est laissé à l’intérieur de la combinaison, nous devons attendre une demi-heure pour être sur que l’azote est également rejeté à l’extérieur de notre corps. Nous ne sauterons pas cette étape aujourd’hui ! Maintenant nous sommes prêts : nous simulons l’ouverture de la soupape d’aération vers l’espace et l’équipe de soutien met en route la pompe à vide. Dans quelques minutes la pression sera descendue à 0,01mm de mercure : c’est la pression que vous rencontreriez à 65-70km d’altitude. A toutes fins utiles, c’est le vide.

Retour à la pression atmosphérique (Credit : ESA/S.Cristoforetti)

Retour à la pression atmosphérique (Credit : ESA/S.Cristoforetti)

Pendant que l’air est progressivement pompée hors de la chambre, j’entends les craquements habituels de la combinaison pendant qu’elle se gonfle. Je sens l’espace à l’intérieur du costume croître et les membranes douces internes qui sont contre mes bras et mes jambes se rigidifient et deviennent des murs solides. Tout semble familier, même si mon esprit est conscient que la presion extérieure est vraiment entrain de diminuer cette fois. Et puis, tout à coup, la différence devient évidente : les bruits de fond à l’extérieur, dont je n’avais même pas eu conscience, deviennent clairement étouffés jusqu’à ce qu’ils disparaissent complètement. Nous sommes isolé acoustiquement de notre environnement, sauf des voix de l’équipe de soutien qui nous parviennent via le câble com.

Je suis heureuse pour les sons étouffés, je suis heureuse pour l’évolution de la hauteur de ma voix et de la sensation inhabituelle dans mes voies respiratoires. Je suis heureuse pour tous ces petits signes qui me rappellent le caractère unique de cette expérience et je suis reconnaissante envers le médecin à la console qui nous encourage à essayer de siffler. L’entraînement des astronautes consiste à rendre des expériences extraordinaires aussi familières que possible avant même que nous ne les rencontrions. Mais parfois j’aime prendre une minute et tout simplement profiter de l’extraordinaire.

Clickez sur l’image ci-dessous pour regarder la vidéo filmée pendant notre entraînement avec les combinaisons Orlan :

Vidéo sur le site de l'ESA

Exercice sur Orlan et sur les opérations sas – Credits vidéo : GCTC

Avant d’être autorisés à entrer dans la chambre à vide pour un essai sous vide, et certainement avant tout entraînement supplémentaire aux EVA sous l’eau, Alex et moi-même avons dû démontrer la maîtrise du fonctionnement de toutes les commandes Orlan dans la combinaison pressurisée et effectuer toutes les opérations de sas pré-EVA et post-EVA dans ce centre de formation spécialisé au Centre d’Entraînement des Cosmonautes à La Cité des Étoiles. Le centre propose une réplique parfaite de toutes les valves du sas et des panneaux de commandes, ainsi que de l’écoutille du sas. Il inclut également un système spécial de simulation de l’apesanteur. Une fois entré dans l’Orlan, les combinaisons sont suspendues et le poids est contrebalancé : de cette façon, en poussant contre une structure fixe avec relativement peu d’effort nous pouvons déplacer les environ 200kg de combinaison et de corps. C’est un entraînement très réaliste qui renforce les compétences et la confiance.

Plus de photos sur l’entraînement Orlan (sur Flickr)

 

Cet article a été écrit par Samantha Cristoforetti, l’un des six astronautes recrutés par l’Agence Spatiale Européenne en 2009. Leur groupe a été baptisé les Shenanigans. Vous pourrez lire la version originale de cet article en anglais sur le site de l’ESA ici : A trip into vacuum

 

 

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