Que diriez-vous d’un tour dans la plus grande centrifugeuse au monde ?

Article par Samantha Cristoforetti

Le bras de centrifugeuse de 18m de Star City est le plus grand au monde ! Dans le cadre de la formation nous n'allons que jusqu'à 8G sur le profil balistique, mais cette bête peut faire bien mieux. (Crédits : GCTC)

Le bras de centrifugeuse de 18m de Star City est le plus grand au monde ! Dans le cadre de la formation nous n’allons que jusqu’à 8G sur le profil balistique, mais cette bête peut faire bien mieux. (Crédits : GCTC)

« La capsule est en rotation pour sa position de départ » annonce la voix du haut-parleur quelques minutes après que la trappe derrière moi ait été fermée. Je suis à l’aise dans le grand siège, allongée avec mon dos parallèle au sol, tout comme je le serai juste avant le lancement, au sommet de la fusée Soyouz. Je sais que je suis observée avec attention par le personnel médical. Non seulement ils peuvent me voir via la caméra, ils peuvent aussi enregistrer mon pouls et le rythme de ma respiration via la ceinture médicale sur ma poitrine, tandis que le brassard sur mon bras va périodiquement se gonfler pour mesurer ma pression artérielle. Je porte également un capteur sur mon doigt et un sur mon oreille.

C’est spacieux ici dans la capsule de la centrifugeuse, aucune comparaison avec le minuscule module de descente du Soyouz. Lorsque je serai là-dedans pour faire mon examen de rentrée manuelle, le tableau de bord sera installé au dessus de moi. Mais pas aujourd’hui. Je suis juste là pour une session de familiarisation avec le profil d’accélération d’une ascension nominale et d’une rentrée atmosphérique.

Samantha s'installe dans la centrifugeuse

Je laisse les pros me sangler. Ils savent où doivent être routés tous ces câbles de télémétrie médicale. (Crédits GCTC)

Les facteurs de charge ne me sont pas inconnus. En tant que pilote militaire j’ai été exposée plusieurs fois à un environnement à haut facteur de charge. Dans les combats air-air ou lors des manœuvres de fuite, les pilotes tirent sur le manche pour mettre l’avion dans une courbe raide ou pour le faire plonger. Ce mouvement vers l’arrière du manche est l’origine de l’expression « pulling Gs » que vous avez peut-être déjà entendu. Lorsque vous tirez 2G, par exemple, vous êtes plaqués dans votre siège avec deux fois votre poids. A 6G, votre tête de 5kg pèse en fait 30kg sur votre cou – ceci sans compter le casque.

Une instruction finale : je dois maintenir le bouton pressé pendant toute la session (Crédits : GCTC)

Une instruction finale : je dois maintenir le bouton pressé pendant toute la session (Crédits : GCTC)

Causer des tensions sur votre cou, bien qu’étant une possibilité très concrète, n’est pas le problème principal dans les situations de grandes accélérations. Le plus grand danger est causé par le sang qui est attiré loin de votre tête, dans la partie basse de votre corps, ce qui peut priver votre cerveau de l’oxygène dont il a besoin et provoquer des symptômes qui vont de la vision étroite à la perte de conscience. Pour pallier ce problème, les pilotes militaires, de même que les pilotes acrobatiques sont entraînés à contracter les muscles de leurs jambes, de leurs fesses et de leur abdomen et à utiliser une technique spéciale de respiration qui les aide à maintenir la pression sanguine dans la tête.

Soyons clair, je n’aurai pas besoin de tout ceci pour la session de centrifugeuse d’aujourd’hui. La charge d’accélération dans le Soyouz n’est pas dirigée tête-pied, comme dans un jet, mais plutôt poitrine-dos. Pas de sang se précipitant loin de mon cerveau, pas de vision étroite, pas d’évanouissement. Ce à quoi je m’attends c’est la pression sur ma poitrine, bien sûr. Peut-être un certain malaise et une certaine difficulté à respirer.

Sam s'installe dans la centrifugeuse

Je suis sanglée, le siège est pivoté vers l’arrière. Il est l’heure d’aller dans la centrifugeuse ! (Crédit : GCTC)

Donc, nous voilà, la centrifugeuse commence à accélérer et je commence à sentir l’accumulation de la pression sur mon corps, pendant que la voix du médecin annonce via les haut-parleurs que nous passons 2G. A 3G je ressens assurément une pression significative sur la poitrine mais je peux encore respirer tout à fait normalement. Néanmoins, le médecin m’encourage à faire la transition vers la technique de respiration qu’il m’a montré juste avant la session : contracter les muscles de la poitrine pour rigidifier la cage thoracique et respirer avec le ventre. N’ayant pas eu la chance de beaucoup pratiquer ceci avant d’être sanglée dans la centrifugeuse, je suis reconnaissante envers mes cours de Yoga pour tous ces exercices de respiration par le ventre ! Pourtant, je ne sens pas que j’ai une grande maîtrise de cette technique. Essayez de contracter fortement les muscles de votre poitrine pendant que vous laissez votre ventre complètement détendu. Comment ça marche pour vous ?

Alors que nous passons 3.5G, gonfler les poumons devient difficile et je fais de mon mieux avec la technique de respiration. En effet, même avec ma mauvaise exécution cela semble aider. Je dois avoir ralenti mon rythme respiratoire, cependant, car le médecin me rappelle de continuer à inspirer et à expirer à un rythme normal. Je commence également à ressentir une certaine douleur : plus une nuisance qu’un problème, mais bien présente.

Après environ deux minutes, comme nous passons 4G, j’entends le médecin qui me prévient de l’extinction simulée imminente des moteurs du premier étage. Tout comme dans le vol réel, l’accélération est soudainement arrêtée. C’est un peu déroutant pendant les quelques secondes où les forces de Coriolis jouent des tours à mes organes de l’équilibre et j’ai l’impression que la capsule dégringole vers l’avant. Heureusement mon cerveau récupère ses repères rapidement et je suis prête pour la prochaine accumulation de G. Cette fois nous allons seulement à 2.5G avant la simulation de l’extinction du second étage, puis nous augmentons à nouveau lentement jusqu’à 3.1G, lorsque l’arrêt final de l’accélération marque la fin des 9 minutes de la phase d’ascension. La prochaine fois que je subirai un tel profil d’accélération, à ce stade, je serai en orbite !

Le jour n’est pas totalement fini cependant. Après quelques minutes de repos, c’est l’heure d’une nouvelle rotation pour simuler l’accumulation de charge pendant une phase de rentrée nominale. Le pic d’accélération est de nouveau autour de 4.3G et dans la vraie vie il se produit lorsque la capsule est ralentie par les très fines couches de l’atmosphère. Je sais exactement à quoi m’attendre maintenant et effectivement il n’y a pas de surprises comparé à la première session. Après le stop final, les techniciens de la centrifugeuse sont rapide pour ouvrir la trappe et tirer sur le siège. J’en ai terminé pour la journée, mais je recommencerai très bientôt pour le profil de rentrée balistique. Cela sera assurément une expérience plus difficile, avec un pic d’accélération de 8G. Vraiment curieuse de voir ce que l’on ressent !

Plus de photos ici !

 

Cet article a été écrit par Samantha Cristoforetti, l’un des six astronautes recrutés par l’Agence Spatiale Européenne en 2009. Leur groupe a été baptisé les Shenanigans. Vous pourrez lire la version originale de cet article en anglais sur le site de l’ESA ici : How about a ride in the world's biggest centrifuge?

 

 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.