L+129 : Il ne me reste plus que 42 jours dans l’ISS
L+129 : Mercredi 1er Avril 2015
Comme vous l’avez sans doutes remarqué, je n’ai pas beaucoup écrit ces derniers mois – mes soirées se sont juste envolées, partagées entre l’attraction irrésistible de la Cupola, d’autres projets d’outreach et de nombreuses petites choses personnelles dont je devais m’occuper.
Pendant la journée, nous sommes vraiment occupés dans la Station Spatiale avec la science, la maintenance, les tâches ménagères, la logistique et le maintien de nos compétences dans les réponses d’urgence, la robotique, le pilotage du Soyouz, etc… La variété des choses que nous faisons là-haut est hallucinante, si vous y pensez bien.
Oh, au fait, nous avons aussi eu le désamarrage d’un Soyouz plus tôt ce mois-ci, ramenant à la maison la moitié de la population de notre Station Spatiale. Bon, au moins en terme de présence humaine – je suis sûre que les micro-organismes habitant ici, qui sont plus nombreux que nous par ordre de grandeur, prétendraient qu’il s’agit de « leur » Station Spatiale et ne se soucient guère que trois mammifères bipèdes soient remplacés par trois autres. Nous, au contraire, on s’en soucie.
C’était dur de voir Sasha, Butch et Elena partir après avoir été si proche pendant quatre mois et nous sommes juste devenu un petit peu anxieux lorsque la communication avec leur Soyouz a été perdue pendant la mise à feu des moteurs, ce qui était un peu inattendu. Donc nous étions contents d’entendre Moscou dire que les équipes de recherche et de sauvetage étaient entrées en contact avec la capsule et encore plus heureux de voir les visages souriants de nos amis au moment où ils ont respiré leurs premières bouffées d’air frais au Kazakhstan.
Au cas où vous vous demandez, nous les avons vu sur NASA TV, comme beaucoup d’entre vous, je suppose. Pas sûre de l’avoir dit avant, mais nous pouvons avoir une station TV transmise en direct sur l’un de nos ordinateurs lorsque nous avons la couverture satellite pour les antennes Ku-Band.
Pendant deux semaines, la Station Spatiale semblait même plus grande qu’à l’habitude, avec Anton, Terry et moi comme seuls habitants (humains). Non seulement il y avait moins de personnes aux alentours, mais bien sûr il n’y avait que la moitié du travail qui se faisait donc il y avait moins de communication sur le canal espace-sol. Globalement, ça semblait beaucoup plus calme. Et maintenant nous sommes de nouveau six !
Scott, Gennady et Misha nous ont rejoint la semaine dernière et ont ajouté leur personnalité au mélange pour créer la nouvelle dynamique de l’Expédition 43. C’est une opportunité tellement précieuse de faire partie de deux équipages différents : au final, ce sont les interactions humaines qui déterminent notre expérience là-haut, donc en quelque sorte c’est comme avoir deux missions spatiales au lieu d’une. Et si vous avez des coéquipiers aussi géniaux que ceux que j’ai eu dans l’expédition 42 et que j’ai maintenant dans l’expédition 43… Et bien la vie est belle ! De plus, Terry et moi avons trouvé ça vraiment facile en terme de transmission : Scott a déjà été là-haut pendant six mois il y a tout juste 4 ans, il n’a donc pas besoin de la quantité de conseils et de coaching (et de patience !) que ce que nous avons eu besoin de la part de Butch au début. Scott est dans l’ensemble déjà autonome et a déjà donné des infos qui ont amélioré notre vie et notre travail. Toujours bon d’ajouter une nouvelle perspective à l’équation !
Donc nous y voilà, c’est déjà le 1er avril et sauf changements, mon Soyouz se désamarrera le 14 mai. Avec moi à bord, sauf si je me cache très bien. Il ne me reste que 42 jours dans l’ISS, ce qui est bien sûr un chouette nombre, mais c’est également pas beaucoup. Si je semble un petit peu triste en le disant, c’est parce que je le suis.
Bref, avec si peu de temps restant, je m’engage à reprendre l’écriture régulière de ce journal : il y a encore tant de choses que je dois partager avec vous ! J’ai pensé que je commencerais par partager quelques photos de la vie et du travail de ces quatre derniers mois : consultez les légendes pour quelques aperçus. Je vous reparle bientôt !
- Notre conteneur de déchets solides est remplacé lorsqu’il est plein, en général tous les 11/12 jours. Pour garder facilement une trace de combien de temps ça dure, nous écrivons le jour dessus. Sur le mur du compartiment toilettes, vous pouvez voir des tubes d’urine et un sac de collecte d’urine : nous tirons l’urine du sac dans les tubes et mettons ensuite les tubes dans le congélateur. Lorsque l’un d’entre nous doit collecter ses urines sur 24 heures, l’ « équipement » est généralement déployé comme ça dans la cabine des toilettes .
- C’est l’un de nos congélateurs MELFI, où nous conservons les échantillons comme l’urine, le sang ou la salive, mais également des briques froides qui empêcheront les échantillons de se réchauffer pendant leur voyage retour sur Terre. Les tiroirs sont en général gardés à -90ºC – les gants sont nécessaires.
- Nous avons deux plans de travail de maintenance (Maintenance Work Benches) dans le Node 2. Lorsque nous ne les utilisons pas, ils peuvent être repliés contre le mur. Lorsque nous faisons la maintenance d´un équipement portable, ou même le traitement et l’analyse d’échantillons d’eau, c’est un endroit pratique pour installer l’atelier. Les quatre quartiers d’équipage sont juste à ma gauche sur la photo : le mien est sur le plancher.
- Très souvent, cependant, nous faisons la maintenance et le travail d’inspection sur un équipement sans le retirer de l’endroit où il est installé. Celui-ci, par exemple, c’est l’OGS, notre Système de Génération d’Oxygène. Il produit l’oxygène à partir de l’électrolyse de l’eau et l’injecte directement dans la cabine.
- Nous avions une imprimante 3D là-haut pendant l’expédition 42. Les travaux d’impression étaient envoyés depuis le sol, nous avions juste à retirer l’objet imprimé et maintenir le plateau prêt pour la fois suivante. Cet appareil, la Microgravity Science Glovebox (MSG) a été utilisé pour d’autres expériences entre temps. Cependant vous devrez demander à Terry pour les détails, il a été notre gars-MSG jusqu’à présent.
- Parfois vous n’avez pas besoin de la grosse boite à gants, un appareil portable peut suffire. Cette boite à gants peut être facilement assemblée quand c’est nécessaire et puis désassemblée et rangée.
- La santé oculaire est quelque chose d’important dans la Station Spatiale. Des effets défavorables de la microgravité ont été observés sur les yeux de nombreux membres d’équipage et maintenant la chasse est ouverte pour obtenir une explication complète. Des échographies périodiques de l’œil font partie de cet effort. Un autre membre d’équipage sert d’opérateur et une aide à distance au sol donne des instructions basées sur les images échographiques en direct et sur le direct du flux descendant des caméras de la cabine pointées sur le sujet. Des boutons colorés sont chouettes pour fournir des instructions à des personnes comme nous qui ont un entraînement et une expérience minimale.
- Rangez la cabine, nous sommes en train de déployer MARES ! Cet appareil aidera la recherche sur les effets de la microgravité sur les muscles. Il a eu quelques problèmes de mise en route mais nous avons réussi un contrôle il y a quelques semaines. C’était amusant d’assembler « le monstre », comme nous l’appelons affectueusement et d’exécuter des tests. La plus grosse difficulté, cependant, était de faire tenir toutes les pièces de nouveau à l’intérieur d’un volume de rack après le désassemblage ! Quelqu’un veut faire un Tetris ?
- De temps en temps nous devons installer du matériel sur la table coulissante du sas JEM, de sorte qu’il puisse être transféré à l’extérieur. Typiquement nous avons installé des mini satellites encapsulés dans leur système de déploiement. Dans ce cas j’installe le Robotic Refueling Mission, un démonstrateur de technologie pour le ravitaillement automatique des satellites en orbite. Beaucoup de composants délicats à manipuler avec le plus grand soin ! Au fait, à l’extrême droite vous pouvez voir une image de WorldMap, notre logiciel d’observation de la Terre. Il nous montre notre chemin à la surface de la Terre, des prédictions de passage et plus encore. Les quatre boites vertes sur les autres ordinateurs nous montre les statuts des communications de nos quatre canaux espace-sol en flux montant et descendant. Le vert est bon, le gris est perte de signal. Cet affichage des comm. peut être affiché sur n’importe quel ordinateur qui se trouve sur le bus de contrôle de la Station et fournir la télémétrie et les commandes. Comme le sol effectue les commandes la plupart du temps à distance, nous conservons la plupart de nos PC comme ceci avec l’affichage des statuts de comm. en taille maximale. Ils sont placés stratégiquement de sorte qu’il y en ait un en vue où que l’on soit dans la Station, afin de toujours pouvoir vérifier facilement si nous avons la communication avec le sol ou pas.
- TripleLux B est une recherche de l’ESA sur les effets de la microgravité sur les cellules immunitaires, qui a lieu dans l’appareil Biolab dans Columbus. Biolab a requis du travail de maintenance non planifié (un détecteur de fumée assez profond dans le ventre du rack a dû être remplacé) mais heureusement il est revenu en forme avant que les cultures de cellules n’expirent. Les opérations TripleLux B se sont finies avec succès hier. Ensuite dans Biolab on aura TripleLux A, avec les cultures de cellules arrivant bientôt sur SpX-6
- Pour rentrer à la maison (le fait est que nous allons revenir à la maison bien trop tôt), Anton est moi avons eu récemment un OBT (On-Board Training) sur la descente manuel Soyouz. Tout comme sur le simulateur à Star City nous avons dû piloter des profiles de rentrées manuelles : nous devions juste nous habituer à appuyer sur des boutons sur le clavier de l’ordinateur au lieu des gros boutons du vrai appareil de commande de la descente manuelle.
- Nous avons pris une photo de groupe de l’expédition 42 avant le départ de Sasha, Elena et Butch. Notre motto : pas de panique et sachez toujours où se trouve votre serviette !
Cette note est la suite d’une longue série de notes de Samantha Cristoforetti, astronaute italienne de l'ESA, qui a entrepris l’écriture d’un journal de bord quotidien relatant son entraînement pour sa mission spatiale à bord de l'ISS. Samantha s'est envolée de Baïkonour à bord d'une fusée Soyouz le 23 novembre 2014.
La version anglaise (originale) peut être consultée sur son compte Google+ et la traduction italienne sur le site AstronautiNEWS.
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Toutes les photos postées proviennent de son journal de bord sur son compte Google+.